Marguerite Duras connaît la consécration en 1984 avec l’obtention du prix Goncourt pour L’Amant. Le succès est renouvelé avec l’adaptation cinématographique de Jean-Jacques Annaud en 1991. La dimension autobiographique qui traversait la plupart des précédents romans de Marguerite Duras s’impose ici avec une force brutale. Mais le récit renvoie à des recherches novatrices, qui s’expriment de toutes leurs forces dans cet incipit du roman. Comment Marguerite Duras parvient-elle à renouveler le stéréotype romanesque de la première rencontre ? Certes, la page s’inscrit dans le domaine de l’exotisme, cadre favorable à la passion. Cependant, on y retrouve des souvenirs d’une expérience vécue de Duras à travers l’évocation de sa famille et de sa vie en Indochine.
D’abord, les indices de l’évocation de la vie en Indochine sont autant d’éléments qui inscrivent immédiatement le biographique dans le texte romanesque, tout en plantant un cadre exotique propice à l’expression des sentiments amoureux.
En effet, l’usage des troisièmes personnes « il » et « elle » substituts respectivement de « l’homme élégant » et de « la jeune fille au feutre », la précision des noms de lieu (« Cambodge », « Sadec » ou « Fou-Chouen ») et des indications relatives à la situation de la mère (l. 12 à 15) soulignent suffisamment cet ancrage du romanesque dans le biographique. On peut encore souligner l’antithèse « blanche dans un car indigène » (l. 20) qui ancre la scène dans un contexte exotique.
Mais la rencontre de la jeune fille et de « l’homme élégant » apparaît au lecteur tout à fait extraordinaire. Elle se caractérise ainsi par l’opposition totale des deux personnages : opposition de races, opposition de situations sociales, opposition d’âge. Nous avons d’un côté, un chinois, de l’autre une jeune fille d’origine européenne ; de même, nous avons un homme riche puisque le texte emploie abondamment le champ lexical de la richesse, de l’aisance matérielle avec « limousine, chauffeur, cigarette anglaise, grande maison sur le fleuve» ; de même nous sommes face à la fille de l’institutrice de la ville de Sadec, lieu commun aux deux protagonistes. Par ailleurs, le riche chinois est un homme jeune, inscrit dans la vie sociale, tandis que l’héroïne est une adolescente lycéenne. Les deux personnages se rencontrent malgré tout et le lecteur pressent le coup de foudre immédiat.
Il s’agit donc d’une scène amoureuse, un classique du genre, celle d’une première rencontre entre deux personnages que rien ne prédisposait à s’aimer. Mais le traitement de la scène apparaît original.
La scène de première rencontre donne cependant une forte impression d’originalité au lecteur.
En effet, le style de Marguerite Duras parvient à renouveler tous les clichés du genre. On trouve ainsi, dans l’extrait, différentes formes de discours rapporté, comme le discours indirect : « il lui dit qu’il croit rêver » (l. 9). On trouve également le discours direct, sans guillemets, mais avec les deux points introductifs « il le lui demande : mais d’où venez-vous ? » Mais Marguerite Duras développe aussi une écriture originale qui se caractérise le plus souvent par l’inscription des propos rapportés dans le fil de la narration, sans retour à la ligne - et par le glissement du discours indirect au discours direct, sans utilisation des guillemets comme « Elle lui dit qu’elle ne fume pas, non merci » (l. 7) ou bien « puis il dit qu’il a déjà entendu [...] c’est bien ça n’est-ce pas ? Oui c’est ça » (l. 15-16). Aucun signe de ponctuation ne signale ici le changement d’interlocuteur. La romancière crée ainsi une forme originale de style indirect libre.
Marguerite Duras produit par ailleurs un effet de simplicité à travers l’usage répété des pronoms personnels « il » et « elle », qui met en valeur les protagonistes de la rencontre, effaçant l’univers environnant (« Il dit », « il lui dit», etc.). Le texte multiplie également les phrases courtes car la structure de phrase élémentaire contribue ici à cette mise en valeur avec « Elle attend » (l. 8), « Elle le regarde. » (l. 17), « Elle lui demande qui il est.» (l. 17) et « Elle lui demande ce qu’il est. » (l. 19). On distingue enfin des effets d’insistance avec l’emploi de l’anaphore à travers la répétition des adverbes « tout d’abord » (l. 3), « alors » (l. 6 à 8) ou des mêmes mots plusieurs fois répétés comme « grande maison... avec les grandes terrasses [...]». Le roman glisse ainsi vers l’écriture d’une langue apparemment simple et familière, comme celle qu’utiliserait un enfant ou l’adolescente qu’est la jeune fille au moment de la rencontre.
À partir d’un thème romanesque devenu un invariant en littérature, Marguerite Duras parvient tout de même à créer une scène originale dans son traitement car l’écrivain a su imprimer par le moyen d’un style propre toute l’émotion ressentie par ces deux protagonistes si proches et lointains à la fois. Leurs hésitations, leurs pudeurs, leurs élans retenus se font entendre dans le rythme même de la narration, qui mêle adroitement oralité et narration. Le thème de la première rencontre trouve donc un nouvel écho depuis Flaubert, les yeux des personnages se cessent de se rencontrer…
D’abord, les indices de l’évocation de la vie en Indochine sont autant d’éléments qui inscrivent immédiatement le biographique dans le texte romanesque, tout en plantant un cadre exotique propice à l’expression des sentiments amoureux.
En effet, l’usage des troisièmes personnes « il » et « elle » substituts respectivement de « l’homme élégant » et de « la jeune fille au feutre », la précision des noms de lieu (« Cambodge », « Sadec » ou « Fou-Chouen ») et des indications relatives à la situation de la mère (l. 12 à 15) soulignent suffisamment cet ancrage du romanesque dans le biographique. On peut encore souligner l’antithèse « blanche dans un car indigène » (l. 20) qui ancre la scène dans un contexte exotique.
Mais la rencontre de la jeune fille et de « l’homme élégant » apparaît au lecteur tout à fait extraordinaire. Elle se caractérise ainsi par l’opposition totale des deux personnages : opposition de races, opposition de situations sociales, opposition d’âge. Nous avons d’un côté, un chinois, de l’autre une jeune fille d’origine européenne ; de même, nous avons un homme riche puisque le texte emploie abondamment le champ lexical de la richesse, de l’aisance matérielle avec « limousine, chauffeur, cigarette anglaise, grande maison sur le fleuve» ; de même nous sommes face à la fille de l’institutrice de la ville de Sadec, lieu commun aux deux protagonistes. Par ailleurs, le riche chinois est un homme jeune, inscrit dans la vie sociale, tandis que l’héroïne est une adolescente lycéenne. Les deux personnages se rencontrent malgré tout et le lecteur pressent le coup de foudre immédiat.
Il s’agit donc d’une scène amoureuse, un classique du genre, celle d’une première rencontre entre deux personnages que rien ne prédisposait à s’aimer. Mais le traitement de la scène apparaît original.
La scène de première rencontre donne cependant une forte impression d’originalité au lecteur.
En effet, le style de Marguerite Duras parvient à renouveler tous les clichés du genre. On trouve ainsi, dans l’extrait, différentes formes de discours rapporté, comme le discours indirect : « il lui dit qu’il croit rêver » (l. 9). On trouve également le discours direct, sans guillemets, mais avec les deux points introductifs « il le lui demande : mais d’où venez-vous ? » Mais Marguerite Duras développe aussi une écriture originale qui se caractérise le plus souvent par l’inscription des propos rapportés dans le fil de la narration, sans retour à la ligne - et par le glissement du discours indirect au discours direct, sans utilisation des guillemets comme « Elle lui dit qu’elle ne fume pas, non merci » (l. 7) ou bien « puis il dit qu’il a déjà entendu [...] c’est bien ça n’est-ce pas ? Oui c’est ça » (l. 15-16). Aucun signe de ponctuation ne signale ici le changement d’interlocuteur. La romancière crée ainsi une forme originale de style indirect libre.
Marguerite Duras produit par ailleurs un effet de simplicité à travers l’usage répété des pronoms personnels « il » et « elle », qui met en valeur les protagonistes de la rencontre, effaçant l’univers environnant (« Il dit », « il lui dit», etc.). Le texte multiplie également les phrases courtes car la structure de phrase élémentaire contribue ici à cette mise en valeur avec « Elle attend » (l. 8), « Elle le regarde. » (l. 17), « Elle lui demande qui il est.» (l. 17) et « Elle lui demande ce qu’il est. » (l. 19). On distingue enfin des effets d’insistance avec l’emploi de l’anaphore à travers la répétition des adverbes « tout d’abord » (l. 3), « alors » (l. 6 à 8) ou des mêmes mots plusieurs fois répétés comme « grande maison... avec les grandes terrasses [...]». Le roman glisse ainsi vers l’écriture d’une langue apparemment simple et familière, comme celle qu’utiliserait un enfant ou l’adolescente qu’est la jeune fille au moment de la rencontre.
À partir d’un thème romanesque devenu un invariant en littérature, Marguerite Duras parvient tout de même à créer une scène originale dans son traitement car l’écrivain a su imprimer par le moyen d’un style propre toute l’émotion ressentie par ces deux protagonistes si proches et lointains à la fois. Leurs hésitations, leurs pudeurs, leurs élans retenus se font entendre dans le rythme même de la narration, qui mêle adroitement oralité et narration. Le thème de la première rencontre trouve donc un nouvel écho depuis Flaubert, les yeux des personnages se cessent de se rencontrer…
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