Pour ce récit de rencontre, le narrateur utilise exclusivement le point de vue interne : le lecteur est plongé dans la conscience de Frédéric et partage ses sensations, ses sentiments, au moment où il découvre Mme Arnoux. Le mot « éblouissement » (l. 3), l’emploi du verbe « regarda » (l. 5) juste avant la description de Mme Arnoux, tout montre ici que le lecteur épouse le cheminement sentimental du jeune homme. D’abord ébloui, stupéfait, « il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement » (l. 17), il est ensuite en proie à une « curiosité douloureuse » (l. 21) qui s’exprime à travers les questions qu’il se pose. L’imagination de Frédéric s’enflamme au fil de cette observation, et on découvre les hypothèses qu’il fait, « il la supposait d’origine andalouse » (l. 28).
L’emploi du modalisateur « Elle avait dû bien des fois » (l. 31) témoigne des réflexions de Frédéric : l’impatience de mieux la connaître aboutit à la reconstruction imaginaire du passé de la jeune femme. Ce récit de rencontre, parce qu’il est mené du point de vue exclusif du jeune homme, nous permet donc de mieux le connaître : on voit la candeur du jeune homme, sa naïveté, son besoin d’aimer et d’être aimé, son imaginaire romanesque. Mais ces traits de caractère sont d’ailleurs aussi sensibles au travers des tentatives maladroites du jeune homme pour approcher la jeune femme, « il se planta tout près de son ombrelle » (l. 13). Le narrateur n’est pas sans exprimer ici une pointe d’humour à l’égard de ce qu’il appelle d’ailleurs « une manœuvre » (l. 13). Cependant, toute cette rencontre à sens unique, d’une certaine manière, finit par aboutir à une remarque, mise en valeur par la disposition typographique : « leurs yeux se rencontrèrent. » (l. 36). Le lecteur peut donc supposer que cette rencontre ne sera pas sans lendemain, même si les circonstances et le déroulement de la rencontre semblent rendre difficile l’établissement d’une relation partagée et harmonieuse entre les personnages.
La mise en scène d’un idéal féminin
La première phrase du texte évoque un vers blanc, un octosyllabe pris dans la prose. Il s’agit de souligner l’importance de ce premier regard, comme le montre aussi l’emploi du mot « apparition » (l. 1) qui s’inscrit dans un lexique religieux. Le mot « éblouissement » (l. 3) confirme l’aura presque religieuse de la jeune femme aux yeux de Frédéric, tout comme son geste réflexe, « il fléchit involontairement les épaules » (l. 4). Cette rencontre aura une influence déterminante sur le reste de sa vie. Le portrait de Mme Arnoux témoigne de l’influence de la peinture sur l’écriture de Flaubert. Il s’agit d’un portrait en pied, qui suit le regard de Frédéric : du « chapeau de paille » (l. 6) jusqu’à la « robe de mousseline claire » (l. 9). L’importance des notations de couleur ou de nuance, « rubans roses » (l. 6), « bandeaux noirs » (l. 7), « mousseline claire » (l. 9) témoigne de ce travail presque pictural, tout comme le jeu sur les contrastes entre le personnage et « le fond de l’air bleu » (l. 11). Le portrait ainsi dressé contient de nombreuses indications de mouvement : il s’agit comme d’un instant arrêté, d’une vie immobilisée et saisie sur le vif par l’écriture du narrateur, « palpitaient » (l. 6), « contournant » (l. 7), « descendaient » (l. 8), « presser » (l. 8), « se répandait » (l. 9). De nombreux termes signalent par ailleurs les sentiments du jeune homme. Le lexique mélioratif, associé à la description dans un groupe ternaire (« splendeur de sa peau brune », « séduction de sa taille », « finesse des doigts » (l. 15-16), témoigne de sa fascination.
Le mot « amoureusement » (l. 8) curieusement associé aux bandeaux pourrait être une hypallage et témoigner plutôt du sentiment du jeune homme. Mme Arnoux représente enfin un modèle de beauté exotique, aux yeux de Frédéric Moreau : il s’agit d’un idéal féminin qui s’impose en cette fin de xixe siècle. La « peau brune » (l. 15) et les « bandeaux noirs » (l. 7) composent cette beauté nouvelle. L’imagination de Frédéric prête d’ailleurs à Mme Arnoux une « origine andalouse, créole peut-être » (l. 28), hypothèse renforcée par la présence de la nourrice.
Ce type de discours est du discours indirect libre. Le narrateur nous plonge dans la conscience de Frédéric et nous fait partager ici sa « curiosité douloureuse » pour Mme Arnoux. Il s’agit donc d’une question que le jeune homme se pose à lui-même.
Exposé :Questions possibles :
- Montrez que cette scène de rencontre idéalise la figure féminine.
- Montrez l'importance accordée à l’éblouissement dans cette scène de rencontre.
- Comment l’apparition de madame Arnoux suggère-t-elle la rêverie amoureuse de Frédéric ?
- Quel regard porte le narrateur sur les personnages ?
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